DOSSIER DHEA pilule de jouvence, la fin du mythe, ignorance et désinformation

  • Question du Dr Faust : JJR, vous avez fait un dossier très documenté, où vous expliquez, pourquoi l'immense majorité des pharmaciens, ne vendront pas de DHEA.
  • Et votre pavé dans la mare : "des effets quasi nuls avant 70 ans, des effets qui semblent s'atténuer au bout de six mois à un an... l'ignorance et la désinformation ont touché le monde médical... "
  • Une question avant de commencer : Je vous connais bien, il y a peu de chance que vous vendiez votre âme, dans cette affaire de DHEA. Mais les autres pharmaciens, les médecins ?
  • Jean-Jacques Rigot, Docteur en Pharmacie, Docteur en Médecine : Pour juger l'attitude de confrères, il faudrait être Dieu, c'est à dire être parfait et infaillible. Ce n'est pas mon cas.
    ... des études sont réellement en cours et c'est Beaulieu qui le dit. Alors si pour aller plus vite et précéder les résultats à quoi sert par ailleurs de prôner la médecine par les preuves, les RMO et tout le tralala.

    (gros dossier, mode d'emploi, allégations folkloriques etc... page suivante... commentaires)



  • HISTOIRE : Un fabricant de produits chimiques a annoncé qu'il allait commercialiser sur le marché pharmaceutique le sulfate de DHEA.
    Pourtant la DHEA n'est pas un médicament, son utilisation en tant que telle est interdite, et toute importation est illicite.
    Certains pharmaciens et certains médecins, au motif que, bien qu'elle ne soit pas inscrite à la pharmacopée, l'utilisation comme matière première dans les préparations magistrales n'est pas interdite, peuvent depuis le 11 juin exploiter commercialement un vide juridique...
    Absurdité ! Mais qu'en est il vraiment de ce produit chimique importé d'Inde via une filière commerciale belge (la cooper, fournisseur français de produits chimiques pour les officines françaises, a été rachetée par une multinationale belge) ?

    Molécule, mode d'emploi

    La déhydroépiandrostérone (DHEA), molécule fabriquée par le corps humain, connaît un pic de production chez le jeune adulte puis décroît progressivement après 50 ans. C'est Adolf Butenandt, un Allemand, qui l'isole au début des années 30.

    En 1960, le Pr Beaulieu, met en évidence une hormone intermédiaire produite par les glandes surrénales : la DHEA. Ce composé est un précurseur de l'hormone mâle (la testostérone, une hormone dite " androgène ". Cette sécrétion explique pourquoi il existe même chez la femme des androgènes circulants. Dès lors, il va s'intéresser au parcours et aux effets de cette molécule naturelle. La sécrétion de base de la DHEA est de 20 mg/jour environ.

    L'an dernier, la publication partielle par la grande presse d'une étude scientifique sur le sujet, menée en collaboration avec le Pr Françoise Forette lance le débat en pâture au grand public. Les volontaires, âgés de 60 à 79 ans, qui ont pris quotidiennement entre 50 mg (au féminin) et 75 mg (au masculin) d'une DHEA de synthèse semblent en avoir tiré bénéfice.
    Pourtant la publication du Pr. Baulieu relate des effets positifs fort modestes bien qu'intéressants, ceci chez des sujets déficitaires en DHEA après dosages sanguins sérieux.

  • Une augmentation de la libido chez les femmes de plus de 70 ans (ne rêvez pas messieurs !)
  • Un effet positif sur l'épaisseur de la peau dans les deux sexes (au delà de 70 ans)
  • Une régression de la perte osseuse liée à l'âge Peut être une plus grande force musculaire.

    Ces effets en relation directe avec l'effet dopant des androgènes circulants, semblent s'atténuer au bout de six mois à un an. De plus ils sont quasi nuls avant 70 ans.

    Cette médiatisation prend le relais d'une mode venant d'Amérique du Nord : depuis deux ans les personnes vieillissantes ou se croyant telles consomment de façon anarchique des gélules de DHEA de n'importe quel dosage puisqu'une loi votée en novembre 1997 par le sénat américain à majorité républicaine interdit à la FDA d'intervenir préventivement pour vérifier a priori la non toxicité d'un produit, business oblige. Car dans ce merveilleux pays, la DHEA n'est pas un médicament, n'a pas d'autorisation de mise sur le marché et circule librement. Chacun peut faire " sa petite gélule " et la commercialiser librement.
    Pour que le succès commercial soit total, il faut attirer le client. Alors là tout est bon puisque la Loi n'oblige pas à démontrer avant commercialisation les bienfaits du merveilleux produit. La gogothérapie n'a donc plus de limites puisque dans ce pays le fabricant n'est même pas obligé de contrôler le dosage des produits qu'il commercialise et la posologie est laissée à l'appréciation du fabricant lui même.
    Le système de santé des Etats Unis est basé en effet sur la notion de responsabilité du consommateur, jugé suffisamment adulte pour savoir ce qu'il avale.

    La folie DHEA

    Les seniors, à qui les statistiques promettaient, d'ores et déjà, une plus longue espérance de vie dans de meilleures conditions, s'emballent.
    Et si, grâce à la DHEA, l'on restait jeune jusqu'au bout ? Un vent de folie s'empare de la planète "papy boom".
    A chacun sa méthode. Certains la commandent sur Internet, d'autres la reçoivent en cadeau "d'un ami" de retour des Etats-Unis, de Suisse ou de Vintimille.
    Et l'on trouve tout et n'importe quoi à l'intérieur des gélules.
    Comment d'ailleurs un particulier serait il en mesure d'analyser et de titrer le contenu d'une gélule dans son appartement ? Les dosages sont fantaisistes. Le bruit court qu'à moins de 25 mg, l'efficacité est voisine de zéro, alors on en avale 100mg, voire plus car ce qui est écrit sur la boite est fatalement vrai lorsqu'on est un consommateur naïf.

    Les plus sages font le siège de la poignée de médecins français qui rédige encore une ordonnance pour faire fabriquer la DHEA en officine. "Là, au moins, explique Jacqueline (65 ans), je suis rassurée. Un médecin ne me donnerait pas n'importe quoi!".
    Erreur, l'ignorance et la désinformation ont aussi touché le monde médical et rien n'est plus dangereux intellectuellement que la nullité crasse lorsqu'un titulaire du diplôme de médecin y apporte sa caution.. Pourtant le conseil national de l'ordre de médecins dans son bulletin et dans les médias recommande aux médecins de ne pas rédiger d'ordonnance comportant une prescription de DHEA. Dans le domaine du franc délire, la DHEA ou déhydroépiandrostérone est souvent appelée " hormone-mère " ou " mère des hormones ". Elle est, disent les charlatans de tous poils, l'hormone prédominante dans notre corps. Notre corps la convertirait spontanément dans la forme hormonale qui lui convient le mieux, ou la plus appropriée à son fonctionnement harmonieux (qu'il s'agisse d'oestrogènes, de progestérone, de testostérone ou d'adrénaline). Ces affirmations teintées d'angélisme béat sont fausses, car la DHEA n'est qu'un intermédiaire banal parmi d'autres et que son devenir est principalement la transformation en hormone mâle...adieu l'adrénaline qui n'a rien à voir chimiquement avec la DHEA ! Bonjour le déséquilibre hormonal ! C'est la raison pour laquelle ce produit chimique a été classé par le ministère de la jeunesse et des sports dans la liste des substances dopantes depuis le mois de février et interdite à ce titre chez tout compétiteur.

    En prime, on voit fleurir les allégations les plus folkloriques :

  • Amélioration de la qualité du sommeil
  • Amélioration de la réponse au stress, voir de la résistance à la dépression (effet antidépresseur)
  • Perte de poids régulière, sans fatigue, indépendamment des modifications d'habitudes alimentaires
  • Diminution ou suppression des bouffées de chaleur chez la femme ménopausée ou hystérectomisée, et élimination de la sécheresse vaginale
  • Soulage l'inconfort du syndrome prémenstruel
  • Effets positifs sur les arthrosiques
  • Action antidiabétique et tendance à normaliser la glycémie
  • Ralentissement de l'évolution de certaines formes de cancers
  • Protection du système cardio-vasculaire et propriétés antiathéroscléroseuses
  • Amélioration de la santé du système nerveux
  • Amélioration de l'absorption du calcium en agissant sur le métabolisme de la vitamine D
  • Si les effets sur la mémoire et l'immunité sont actuellement en cours d 'étude sans qu'il soit actuellement possible d'en deviner l'aspect positif, les affirmations ci dessus n'ont aucun fondement scientifique. Certaines sont franchement mensongères voire dangereuses. Affirmer que la DHEA normalise la glycémie, soulage le syndrome prémenstruel et a une action antitumorale est un mensonge éhonté. Ceux qui le colportent pour vendre leurs produits relèvent au moins de la correctionnelle (publicité mensongère). Ils risquent dans quelques années de se voir inculper sinon d'empoisonnement mais tout au moins de complicité d'empoisonnement. Pour le président du syndicat des pharmaciens, il est clair que " les patients qui réclament aujourd'hui de la DHEA seront les mêmes que ceux qui attaqueront leur pharmacien en responsabilité civile et pénale demain ".

    Tandis que dans l'entourage du Ministre délégué à la Santé, on admet que la situation est embarrassante. "Nous n'avons pas assez de recul pour assurer que la prise de ce produit ne présente pas de danger", l'agence française de sécurité sanitaire publie le 3 mai un communiqué que, bien entendu, personne ne lit. Pourtant il est explicite : " Aucune firme n'a déposé de demande d'évaluation scientifique " " L 'agence ne dispose pas de données scientifiques suffisantes lui permettant de déterminer avec exactitude les propriétés pharmacologiques, toxicologique, et cliniques de cette substance " " L'agence n'a délivré aucune autorisation de mise sur le marché pour une spécialité pharmaceutique comportant de la DHEA " " L'agence met en garde le public sur les risques de l'achat de produits via internet car il y a un risque de consommer des produits dont la composition n'est ni garantie ni contrôlée " " La DHEA n'est référencée ni à la pharmacopée française, ni à la pharmacopée européenne "

    Le Pr. Baulieu lui même, débordé par le phénomène, dénonce depuis plusieurs semaines les abus d'une médiatisation trop rapide voire erronée des vertus thérapeutiques de la DHEA. Il rappelle que " l'administration de DHEA exige un suivi médical. Elle peut être contre indiquée dans certains cas, un surdosage peut être dangereux et son innocuité à long terme est inconnue " (sic !). Ces déclarations sont d'autant plus justifiées que les expérimentations sont encore inachevées et que l'étude à moyen et long terme n'a pas été faite. Il n'existe aucun recul sur plus d'un an. Outre les quelques petits désagréments liés à l'effet androgénique de la DHEA ( acné " juvénile ", maux de tête, hirsutisme, odeurs corporelles liées à la production de sueur), le surdosage peut provoquer une hypertension artérielle. La prise de DHEA par une personne souffrant d'un cancer du sein ou de l'utérus chez la femme, de la prostate chez l'homme est cause de multiplication rapide des cellules cancéreuses. La DHEA peut être en effet un redoutable promoteur de tumeurs malignes, voire révéler un cancer jusqu'à présent inapparent. Chez l'homme le danger est réel mais on ne sait pas si la substance DHEA est ou non cancérigène par elle même faute d'étude clinique et pharmacologique.

    Et maintenant ?

    La vente de DHEA semble en contradiction avec deux principes fondateurs des professions de santé :

  • 1) servir la santé publique
  • 2) d'abord ne pas nuire
  • La prescription et la vente de préparations magistrales de sulfate de DHEA sont donc à juste titre fortement déconseillées par les ordres professionnels des médecins et des pharmaciens ainsi que par les syndicats pharmaceutiques . Si les autorités sanitaires n'ont pas daigné en l'espèce appliquer le principe de précaution dont on nous rebat les oreilles si souvent en sacrifiant des animaux sains, les pharmaciens d'officine, eux l'appliqueront tant que le ministère n'aura pas comblé le vide juridique et donné l'assurance sur la foi d'études scientifiquement acceptables qu'ils peuvent vous délivrer ce produit sans danger pour votre santé.

    Dr Faust : le mot de la fin ?
    Jean-Jacques Rigot : Et s’il y avait un accident, une pathologie imprévue ou un quelconque "dommage collatéral", quel troupeau à votre avis va-t-on voir abattre ?