Les filières de la DHEA
Internautes avertis, tentez une expérience simple. Tapez sur le moteur de recherche de votre choix les quatre lettres suivantes : DHEA. Vous obtiendrez aussitôt une série d’adresses URL avec des sites rédigés en anglais, mais également certains en français, où vous pourrez commander, sans aucune limitation, des préparations sensées contenir l’hormone réputée pour ses vertus rajeunissantes. Pourtant, aucune spécialité pharmaceutique contenant la précieuse molécule n’a reçu à ce jour une Autorisation de mise sur le marché (AMM) en France.

Et les préparations accessibles sur le Net sont d’une qualité toute relative. Pour se faire une idée des produits en circulation, le Pr Etienne Emile Baulieu, le découvreur de la DHEA (pour dihydroépiandrostérone), a analysé le contenu d’une cinquantaine de boites glanées au hasard d’une ballade virtuelle ou achetées dans des drugstores d’Outre Atlantique où elles sont en vente libre. Résultat, une surprenante variété de mixtures qui va d’une absence totale d’hormone à un surdosage potentiellement néfaste en passant par des associations inattendues, par exemple avec de l’épinéphrine.

Autre moyen de se procurer de la DHEA, les pays limitrophes de la France comme la principauté d’Andorre qui, en d’autres temps, avait participé à la promotion du Viagra® avant son autorisation dans notre pays. A ces sources connues d’approvisionnement il faut désormais ajouter, selon les révélations du Parisien, certaines officines parisiennes qui, sur prescription médicale, vous concoctent une préparation magistrale sur mesure. A en croire le quotidien, quatre pharmacies de la capitale « jouent le rôle de grossiste-préparateur pour les autres pharmacies ». Elles achètent de la poudre de DHEA à laquelle elles ajoutent un excipient, souvent du lactose, afin d’en faire des gélules propres à la consommation.

La poudre en question serait obtenue à partir d’une plante mexicaine baptisée « yam ». Interviewé par l’auteur de l’article, le Pr Etienne-Emile Baulieu avoue être « sceptique sur la qualité du résultat ». Il reste que la popularité de la DHEA n’est plus à faire et que tout le monde en veut. Les plus malins ou les mieux placés ne cachent d’ailleurs pas leur consommation, à commencer par Etienne-Emile Baulieu lui-même ou Johnny Hallyday le vieux rocker qui livre un combat contre les rides.

L’ordre national des médecins s’inquiète de cette situation et de la prescription de plus en plus fréquente de DHEA. Pourtant, les effets de l’hormone sont encore mal connus, la posologie et la durée du traitement très imprécises. Car que sait-on de ses actions sur la physiologie humaine ? L’intérêt du chercheur français, également reconnu pour avoir mis au point le RU 486 (la pilule abortive), a été éveillé par le fait que cette hormone atteint une concentration maximale chez l’adulte jeune pour décroître par la suite. Il n’en fallait pas plus pour associer la DHEA a une fontaine de jouvence.

Toutefois, les scientifiques manquent de données pour comprendre les effets de la molécule à long terme et confirmer son innocuité. Pour l’heure, une seule étude, dont les résultats ont été annoncés il y à tout juste un an, a fourni quelques éléments tangibles. L’étude DHEâge a en effet montré « une augmentation de la densité de l’os au niveau de la hanche et du poignet » chez des femmes âgées de 70 à 79 ans, en particulier celles déjà atteintes d’une déminéralisation importante.

Deux autres actions plus subjectives ont été notées de façon statistiquement significative : un réveil de la libido et une « amélioration de l’état de la peau ». Pour encourageants qu’ils soient, ces résultats, qui n’ont rien du miracle, nécessitent d’être confirmés par d’autres essais cliniques sur des populations plus larges et avec un recul plus important, l’étude DHEâge ayant été menée pendant seulement un an. En attendant d’en savoir plus, l’Ordre conseille au médecin « de ne pas répondre à la demande d’un patient, dans l’intérêt de celui-ci, et en raison de la responsabilité engagée du médecin prescripteur en cas d’accident même allégué (…) ».

Mais au-delà des connaissances scientifiques sur la molécule elle-même il paraît étonnant que, face à une telle attente du public et un marché si vaste, les laboratoires pharmaceutiques ne se soient pas intéressés de plus près à la DHEA. C’est d’ailleurs ce que souhaiterait le Pr Baulieu qui ne trouve pas les crédits nécessaires à la mise en place d’enquêtes plus ambitieuses. Le problème réside dans le statut de l’hormone qui est une substance naturelle et de ce fait impossible à breveter. L’industriel qui investirait dans le développement du produit s’exposerait, une fois le dossier d’AMM (autorisation de mise sur le marché) déposé, à voir la molécule piller par ses concurrents.

Aux Etats Unis, les préparations les plus fantaisistes sont disponibles dans les supermarchés car la DHEA n’est pas considérée comme un médicament par la Food and Drug Administration (FDA). En France, la commercialisation de la molécule dépend de la bonne volonté des professionnels du médicament.